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La "Montagne"
de la Haute-Loire orientale (au XXème siècle)
- Gérard Bollon -
La "Montagne" ... il s'agit d'un périmètre
comprenant la totalité des communes du
Chambon-sur-Lignon, du Mazet Saint-Voy et des fractions contiguës
des communes de Tence, Saint-Jeures, Les Vastres, Fay-sur-Lignon,
aux frontières de l'Ardèche et de la Haute-Loire.
Sur ce plateau, à mille mètres d'altitude, vivent
un peu plus de 8000 protestants depuis que la Réforme s'y
est implantée il y a plus de quatre siècles. Pour
le passant averti l'existence du protestantisme se lit à
l'entrée des villages lorsque figure la mention "culte
protestant". Dans la campagne aussi, à proximité
de fermes,trapues et dispersées, s'observent encore aujourd'hui
de petits cimetières familiaux réformés.
De multiples communautés religieuses
qui réforment la Réforme
Aujourd'hui la palette des communautés protestantes
du Plateau est extrêmement large. Depuis le milieu du XVIème
siècle, cinq à six sédimentations spirituelles
se sont produites.
Si au XIXème
siècle plusieurs mouvements religieux issus du protestantisme
voient le jour, tel le "Réveil" des Eglises
libres et du darbysme, d'autres coupures se produisent au XXème
siècle comme la scission du darbysme en "frères
étroits" et "frères larges". Dans
les années 1960 apparaît une nouvelle séparation
du darbysme très péjorativement qualifiée
de Tayloriste, du nom du fondateur du mouvement, ou encore de
frères exclusifs. Toujours au cours du XXème siècle,
des mouvements de type évangélique apparaissent
sur le Plateau : citons l'implantation forte de l'Armée
du Salut au Chambon-sur-Lignon qui organise chaque été
des camps pour jeunes et des missions depuis 1910 ; signalons
aussi le développement de mouvements revivalistes : pentecotiste
vers 1960,assemblée évangélique du lieu-dit
de Malagayte vers 1970, ainsi que la communauté Elie
qui apparaît vers 1980. |
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Quelques traits culturels
Si le Plateau s'identifie pendant ce siècle
par un foisonnement du protestantisme et
par sa façon de croire, il se révèle aussi
dans une manière de vivre aux caractères culturels
très marqués. C'est aussi que
l'on constate jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale,
une forte endogamie concernant les mariages sur le Plateau. On se
marie entre gens du pays mais surtout on s'épouse en fonction
d'une contrainte d'essence religieuse. Cela explique en grande partie
la pérennité des patronymes protestants du Plateau
notamment les Russier, Ruel, Argaud, Guilhot, Valla, Ferrier, Barriol...
.
Un second trait culturel du Plateau est liéà
l'apport intellectuel de la Réforme et s'affirme à
l'époque contemporaine par le besoin
de s'instruire et "l'impatience" de lire.
Par exemple, dès la fin de la guerre de 1914-1918, les écoles
publiques du Mazet Saint-Voy et du Chambon-sur-Lignon, très
tôt géminées, préparent de nombreux jeunes
aux concours d'entrée à l'Ecole Normale départementale
d'instituteurs et institutrices. Revenant ensuite dans leur famille
et village, ces pépinières 'enseignants sont sans
aucun doute des agents de culture pour le pays. Peut-être
le Collège Cévenol fondé il y a 60 ans, en
restant fidèle à ses idéaux d'éducation
internationale et interculturelle, symbolise cette vocation éducatrice
du Plateau. Il convient enfin de rappeler la forte tradition de
l'écrit, ainsi que l'atteste la vigoureuse production d'ouvrages
publiés chaque année sur la Plateau. Cette abondance
d'écrits régionalistes, historiques, ethnographiques,
poétiques, et cette impatience de lire se retrouvent naturellement
aujourd'hui dans chaque village du Plateau. Tel est le cas du Chambon
avec quatre librairies, trois centres documentaires scolaires, une
bibliothèque municipale, une bibliothèque régionaliste,
un "pays lecture" en partenariat avec les DRAC des régions
Auvergne et Rhône-Alpes.
Le Plateau : terre d'accueil
et de progrès
Le passé historique et religieux a sans doute
permis au Plateau de devenir une terre
d'accueil et de refuge au XXème siècle. Dès
le début du siècle l'Oeuvre des Enfants à la
Montagne, fondé par Louis Comte, envoie chaque été
au bon air 3 à 4000 enfants des bassins miniers de la Loire.
En 1914, le Plateau héberge des réfugiés alsaciens;
puis en 1938, il protège des réfugiés espagnols.
En 1940, contre le nazisme et ses ois antisémites, la région
devient une importante terre d'asile. Cette hospitalité d'enfants,
d'adultes français et étrangers persécutés,
de réfractaires et maquisards, perdure jusqu'à nos
jours en accueillant au fil des années des familles de hongrois,
des chiliens, des tibétains, des laotiens, des croates ...
.

Le XXème siècle sur le Plateau confirme
aussi cet esprit d'entreprise qu'on attribue traditionnellement
aux fidèles de Calvin. Il s'est exercé de façon
pionnière dans l'électrification du pays, par la construction
d'un réseau d'adduction d'eau en avance
sur son temps ou par la création des premières coopératives
rurales. Quant au tourisme, le Plateau est là aussi en avance
sur les campagnes vellaves : le premier syndicat d'initiative est
fondé en 1912, les livrets-guides de l'époque présentent
la
région comme un lieu climatique et de cures d'air, les dépliants
touristiques décrivent
le Plateau comme "un paradis pour les enfants" et suggèrent
"Protestants passez vos
vacances au Chambon-sur-Lignon". Chaque saison estivale connaît
une intense vie culturelle. Dans ses "Carnets / 1942-1951",
Albert Camus, qui passe ses vacances entre le Chambon et le Mazet
Saint-Voy, note : "Maintenant les réunions et les séminaires
sociaux, religieux, philosophiques se succèdent au Chambon
qui devient un centre d'estivants. Enseignants, médecins,
ingénieurs, salariés, autochtones s'y retrouvent,
se recueillent, méditent,s'entretiennent ...".
Le parti pris des hommes
Depuis le début de la IIIème république,
le comportement électoral des protestants
de la "Montagne" vellave est toujours resté majoritairement
marqué à gauche pour des raisons de conscience, d'expérience
et peut-être de minorité. Aujourd'hui pourtant, du
fait du brassage des populations depuis la deuxième guerre
mondiale, les opinions se distinguent mieux des choix religieux.
Cela est net pour la commune du Chambon-sur-Lignon, tandis que le
Mazet Saint-Voy plus rural, se détache moins facilement de
ses anciennes habitudes. Finalement, de nos jours ce qui différencie
le plus le Plateau des confins de la Haute-Loire, c'est la coupure,
qui apparaît au sein des communautés, sur la place
du chrétien face à la politique. Si de nombreux habitants
sont convaincus de leur vocation humaine à gérer leur
pays et s'engagent dans la vie de multiples associations et syndicats
intercommunaux, d'autres hommes clament qu'ils préfèrent
ne pas se mêler de la vie sociale.
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Un tel comportement
se révèle notamment par un fort taux d'abstention
lors de chaque scrutin électoral. Ce "parti pris
des hommes du Plateau", n'est pourtant pas une attitude
naturelle mais bien le fruit d'une longue histoire et d'une
tenace conquête toujours plus forte au cours du siècle
écoulé. |
Gérard Bollon
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