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La cause des enfants en Haute-Loire
orientale. Culture protestante et dynamisme associatif au XXème
siècle.
Gérard Bollon
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Premier temps donc, "des
vacances au bon air". Nous prendrons comme exemple
une oeuvre qui relève à la fin du XIXème siècle
du protestantisme social : "l'Oeuvre des Enfants à la
Montagne".
Dans les années 1890, un pasteur stéphanois, Louis
Comte, déclare à ses ouailles "qu'il faut
introduire la religion dans les questions sociales" car
elles sont pour lui des occasions de mettre en pratique ses convictions.
Il ne cesse d'affirmer "L'Eglise est de ce monde et dans
ce monde ... Prêcher l'Evangile cela signifie appliquer les
préceptes du Sermon sur la Montagne : partage ton pain, aide
ton prochain, protège la veuve et l'orphelin ainsi que les
déshérités...".
L'action sociale du pasteur Comte s'inscrit naturellement dans le
contexte historique et économique de l'essor industriel de
Saint-Etienne et de ses vallées du Gier et de l'Ondaine à
la fin du XIXème siècle. La paupérisation des
classes laborieuses et parfois dangereuses de mineurs, rubaniers,
armuriers et sidérurgistes ne peut être retracée
ici. Indiquons cependant que le regard des communautés protestantes
sur ces questions est nettement plus radical que celui de l'Eglise
catholique de l'époque, en particulier l'encyclique Rerum
Novarum de 1891 qui condamne certes le libéralisme économique
mais préconise plutôt l'association (les Cercles) et
repousse nettement la lutte des classes et le socialisme matérialiste.
Le christianisme social huguenot demande de combattre l'exploitation
de l'homme mais aussi les iniquités sociales et donc de s'occuper
non seulement des âmes, mais aussi de la décrépitude
des corps, de la maladie, de la misère en organisant avec
le peuple des coopératives, des solidarités, des Fraternités
et des colonies de vacances.
C'est en effet ce que met en oeuvre le pasteur Comte. Il fonde ici
ou là des coopératives alimentaires, des bibliothèques
populaires, le sou des écoles, des sociétés
d'épargne pour les jeunes couples... Plus d'une cinquantaine
d'oeuvres qui deviendront des associations à but non lucratif
en 1901.
Mais, lorsqu'on souhaite énumérer toutes ses initiatives,
il faut s'attacher à mettre au premier plan "l'Oeuvre
des Enfants à la Montagne" qu'il a créé
en Haute-Loire orientale pour donner aux enfants de la classe ouvrière
le bénéfice du bon air et d'une bonne santé,
notamment la prise de poids ou l'éradication de la tuberculose,
mais encore les joies d'un séjour de deux mois dans les fermes
du Plateau vivarais-vellave.
La loi de 1901 lui permet de développer ses projets. Bien
sûr cette dernière est indissociable d'un arrière
plan anticlérical et a aussi pour but de laïciser l'esprit
solidaire des groupements religieux, qu'ils soient protestants ou
catholiques.
Louis Comte en profite donc pour s'appuyer sur une association fondée
sur un fonctionnement simple, une expression et un engagement actif
et direct de nombreux bénévoles, mais aussi capable
de veiller au bon usage des subventions, donations et legs innombrables.
Il faut "se montrer digne de confiance avec l'argent trompeur"
selon la formule de Saint-Luc (16,11). Telle est la leçon
évangélique que retient Louis Comte de la morale laïque
contenue dans les articles de la loi de 1901.
Louis Comte est un remarquable organisateur : il crée une
vingtaine de secteurs s'étendant à 1000 m d'altitude
sur les hauts plateaux de la Haute-Loire et de l'Ardèche
contigüe. De Dunières aux Boutières, en passant
par Tence, le Chambon, Saint-Agrève, des paysans, véritables
parents nourriciers, prennent en charge l'été les
petits citadins du bassin stéphanois. Des séries de
cartes postales des années 1902/1903 ainsi que les rapports
annuels de l'association permettent de retracer ces itinéraires
d'enfants défavorisés : visite médicale avant
le départ, transport en train de Châteaucreux puis
en Galoche, accueil et répartition des enfants par les cultivateurs,
conseils relatifs à l'hygiène, la nourriture, les
activités.
Pour veiller sur tout ce monde réparti dans les fermes, Louis
Comte sollicite le concours de très nombreux bénévoles
: enseignants, secrétaires de mairie, étudiants en
médecine, artisans ; tous se dévouent pour une association
que son fondateur anime sans relâche. Au fil des ans, l'Oeuvre
s'étend de Saint-Etienne à Firminy, Rive de Gier,
la Croix Rousse, Marseille et passe de 1200 séjours en 1902
à 2900 en 1924 sans compter les petits réfugiés
alsaciens et les pupilles de la Nation qui sont accueillis pendant
la première guerre mondiale. 115.000 enfants placés
entre 1900 et 1934... ! Où cela se passe t-il ? Aux confins
de l'Auvergne et dans le cadre de structures associatives de type
loi 1901.
Au-delà de plusieurs associations complémentaires
qui se sont greffées autour de la principale (maisons des
jeunes filles, des mères célibataires, hôpital
des Enfants à la Montagne), le bilan associatif de Louis
Comte est conséquent.
Il a tout d'abord fortement contribué à la naissance
et à l'essor de la vocation touristique du Plateau Vivarais-Lignon,
en créant de toutes pièces, un lieu de villégiature
dans le "carré" des fermes, puis dans des pensions
de famille et les hôtels.
Mais surtout, ses multiples initiatives associatives ont permis
la constitution d'une fédération de colonies de vacance
et d'organismes de plein-air dont les ramifications s'étendaient,
il y a encore peu de temps, autour de la Fédération
des Oeuvres Laïques (FOL) de la Loire, notamment avec les villages
d'enfants.
Second temps de cette attention associative en faveur des enfants
: la période qui entoure la seconde guerre mondiale.
L'accueil et l'hospitalité parfois
périlleuse d'enfants persécutés
se réalisent grâce à l'action d'une multitude
d'associations caritatives (2). Par tradition,
les bourgs protestants de la Montagne vellave, le Chambon-sur-Lignon
et le Mazet Saint-Voy, sont toujours restés solidement républicains
(3). La population a été accoutumée,
à travers les persécutions du passé, à
conserver son indépendance de pensée et son amour
ardent de la liberté. Au XXème siècle, chaque
période de crise, de conflits, rend plus attentifs les habitants
du Plateau Vivarais-Lignon au devenir du prochain.Tous,catholiques
y compris, sont sensibles au Sermon sur la Montagne et ses béatitudes
: "Partage ton pain,accueille l'étranger,aide ton
prochain...".
Avec la guerre d'Espagne, les nombreuses familles de républicains
qui fuient leur pays lors de la victoire du franquisme en 1937/1938
sont accueillis en Haute-Loire. Les convois de réfugiés
se multiplient tout au long de l'été 1937. Les habitants
du Plateau favorisent l'hébergement, en famille ou en pension,
des femmes et des enfants. Les structures d'accueil sont soit municipales,
grâce à l'engagement énergique du maire du Chambon,
Charles Guillon dit "Oncle Charles", soit associatives
notamment pour les foyers d'hébergement comme la "Fraternité
d'hommes" ou l'auberge de jeunesse "Le Genêt d'or".
(2) Bollon (G) "La
Montagne vellave, terre d'accueil" - Actes du Colloque
: "Le Plateau Vivarais-Lignon, Accueil et Résistance
- 1939-1944" - Ed. SHM, 1992.
(3) Charreyron (G) "Le protestant
auvergnat est-il un homme de gauche ?" - Revue d'Auvergne
- n°556 - mai 2001.
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